«Dénombrer et décrire.» Tel est l’intitulé du rapport publié lundi par le Collectif des morts de la rue (CMDR) et tel est le travail de terrain minutieux qu’effectue cette association pour tenter de recenser sur l’ensemble du territoire français, les décès de personnes sans domicile fixe. Un travail complexe qui bute souvent sur des inconnues.

Pour l’année 2019, le CMDR, a ainsi comptabilisé 659 morts, «dont 563 étaient sans chez-soi au cours de leurs trois derniers mois de vie». Autrement dit, ils étaient purement et simplement à la rue, ou se débrouillaient pour trouver un refuge pour la nuit : squats, halls de gare, stations de métro, parkings, tentes… Les autres (au nombre de 96) étaient d’anciens sans-abris qui avaient retrouvé un semblant de stabilité au cours des derniers mois de leur existence, notamment dans des résidences sociales et parfois des logements autonomes.

 
«Pas exhaustif»

Tous ces décès, précise le rapport, concernent «des personnes principalement masculines (89%)» et sont intervenus à des âges jeunes pour un pays riche : «50 ans en moyenne» alors que l’espérance de vie est de 79,7 ans pour les hommes en France. «Vivre à la rue tue», souligne donc le Collectif, indiquant que «son triste constat» relatif à ces décès a un caractère parcellaire. En effet, bien que précieux, son recensement «demeure limité par les données partielles que le collectif […] arrive à recueillir chaque année. Si depuis sa création en 2002, il recense systématiquement les décès dont il [a] connaissance […] ce travail n’est pas exhaustif», préviennent les auteurs, dans un édito, sorte d’entrée en matière du rapport. «L’appui, depuis 2012, de la direction générale de la cohésion sociale, qui a conscience de la richesse des actions menées par le Collectif, a permis de structurer ce dispositif. Cependant, des efforts importants sont encore à fournir [pour] améliorer les données recueillies.»

En l’état, ces données proviennent de plusieurs sources : des associations ou des collectifs locaux engagés dans la lutte contre les exclusions, de la presse – notamment locale – qui relate qu’une personne a été retrouvée morte sur la voie publique (dans un square par exemple), de particuliers (amis de la rue, famille qui signalent le décès au CMDR), ou encore de partenaires institutionnels (services funéraires, services sociaux, police, hôpitaux, etc.) ou des réseaux sociaux.

En 2019, près de la moitié des décès (48%) se sont produits sur la voie publique ou dans des abris de fortune (cabanes, squat, métro…), l’autre moitié essentiellement dans des lieux de soins (26%) où la personne sans abri a été accueillie en fin de vie, des structures d’hébergement ou de logement (10%), ou en détention (1%). Mais dans 14% des cas, le collectif n’est pas parvenu à remonter l’endroit précis ou la personne a été retrouvée morte. Parmi ces personnes décédées l’an dernier, 51% sont nées en France, 17% dans des pays de l’Union européenne, 18% hors UE, et dans 15% des cas le pays d’origine n’a pas pu être établi.

 
Morts violentes

De très fortes inconnues demeurent aussi sur les causes des décès. Elles sont «mal définies» dans 62% des cas, signale le rapport. Pour les autres, beaucoup de morts violentes – des agressions, des suicides, des chutes, des noyades, des accidents de transports, des intoxications (23%) – ou des maladies graves souvent non soignées ou prises en charge trop tard (cancers, cardiopathies…).

Au vu de ces situations humaines terribles, le rapport formule cinq grandes recommandations aux pouvoirs publics. Tout d’abord, le collectif juge indispensable d’améliorer la connaissance relative aux personnes sans domicile fixe. «La dernière étude de l’Insee […] a été réalisée en 2012», déplore le rapport. A l’époque, 143 000 SDF avaient été recensés. Depuis plus rien, si ce n’est des recensements organisés à l’initiative de plusieurs villes sur leurs territoires (Paris, Grenoble, Metz…) mais il s’agit de données locales éparses ne permettant pas une analyse globale.

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Les autres recommandations concernent la prise en charge des personnes sans abri. Le CMDR insiste sur la nécessaire continuité en matière de logement et d’accompagnement médico-social. Or, nombre de SDF sont hébergés à la nuit. Chaque jour, il leur faut retrouver un toit pour le soir qui arrive. Un parcours fait de ruptures qui les fragilise. Il contribue «à leur épuisement, renforce leur désinsertion, favorise les refus [d’hébergement]», pointe le rapport. Pourtant, le «principe de la continuité de l’hébergement est inscrit dans le code de l’action sociale», souligne fort justement le Collectif des morts de la rue. Mais les droits des plus faibles ne sont pas les plus respectés.

Tonino Serafini