Les chiffres définitifs ne seront connus que dans quelques mois, mais déjà les estimations donnent le tournis. En 2020, le nombre d’attributions de HLM devrait chuter de 20 %. Soit 100 000 logements sociaux de moins attribués par rapport à 2019, dans un marché pourtant déjà exsangue (2,1 millions de personnes en attente), selon le rapport annuel sur le mal-logement de la Fondation Abbé-Pierre, publié ce mardi. Le secteur, comme tant d’autres, s’est enrayé lors du premier confinement. «On ne pouvait plus faire d’état des lieux d’entrée et de sortie, donc les locataires n’ont pas bougé. Et ils ont trop peur de l’avenir, donc ils ne partent plus», résume Emmanuelle Cosse, la présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH), qui représente les HLM. Les commissions d’attribution des logements ont, au mieux, nettement freiné leur activité, au pire tout cessé durant des semaines. En Seine-Saint-Denis, certaines n’ont repris qu’en septembre ou octobre, soit après six à sept mois de pause.

Rouages

Entre mars et mai, l’USH a constaté une chute de 60 % des attributions. Avec la reprise progressive de l’activité des agences et un deuxième confinement plus souple, cette baisse a donc été ramenée à 20 % en fin d’année. Mais Emmanuelle Cosse, qui fut aussi ministre du Logement, l’admet : «[Ce retard], je ne sais pas si on va le résorber.»

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Car dans cette grosse machine qu’est le logement, tous les rouages sont imbriqués, et tous ont été grippés en même temps. Dans le parc privé aussi, la paralysie a gagné locataires et propriétaires. Crainte de perdre son emploi, projets d’enfant remis à plus tard… Or, «pour libérer un logement social, il faut que quelqu’un en parte et donc achète ou loue un appartement ailleurs», dit le directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre, Manuel Domergue. En temps normal, 450 000 à 500 000 attributions ont lieu chaque année.

Résultat, «beaucoup de jeunes de 23, 24, 25 ans qui auraient aimé partir de chez leurs parents ne le peuvent pas, illustre Manuel Domergue. Des gens qui étaient en foyer de jeunes travailleurs ne peuvent pas libérer les places, ce qui empêche ceux de l’aide sociale à l’enfance qui étaient dans des hôtels d’accéder à ces structures plus adaptées pour eux. Et puis il y a des gens qui sont dans des taudis, à la rue, dans des bidonvilles…» L’an passé, l’Etat a ouvert plusieurs milliers de places d’hébergement supplémentaires afin de mettre les personnes les plus fragilisées à l’abri. Du coup, «il y a moins de personnes à la rue qu’il y a un an. Mais aussi un niveau inédit de personnes en hébergement. Théoriquement, elles sont là en attendant un logement, mais il y a très peu de perspectives», prévient Manuel Domergue. «A Paris, sur les 3 000 attributions prévues pour les personnes sans domicile dans l’accord collectif départemental, seules 600 ont pu avoir lieu dans l’année», note par exemple la Fondation Abbé-Pierre dans son rapport.

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Autre grain de sable dans la machine : le ralentissement des constructions. Avant même la pandémie, la production de logements neufs, tous types confondus, était en perte de vitesse, avec une baisse de 9 % des mises en chantier au premier trimestre 2020. Au deuxième trimestre, ce fut la dégringolade : - 19 %. L’Observatoire crédit logement CSA estime que le nombre de personnes accédant à la propriété baissera d’un quart entre 2019 et fin 2021. De quoi bloquer davantage les mouvements locatifs. «Si on n’arrive pas à développer l’offre, je ne vois pas comment on va pouvoir répondre à la demande», souffle Emmanuelle Cosse. Rien que dans le parc HLM, «il y a eu 23 000 logements sociaux en moins agréés en 2020. Ça fera des logements attribués en moins en 2023», le temps que les programmes sortent de terre, prédit Manuel Domergue.

 
«Endettés»

Si la situation est préoccupante aujourd’hui, elle risque d’être catastrophique à moyen terme. «Ce grippage n’est pas juste une parenthèse, ça va nous suivre pendant des années et des années», affirme Manuel Domergue. Avec des risques - accrus par la crise économique et sociale post-Covid - qui pendent au nez des locataires : les impayés locatifs et les expulsions. Grâce au prolongement de la trêve hivernale l’an passé, période pendant laquelle les locataires ne peuvent être mis à la porte, «il y a eu 3 500 expulsions en 2020 contre 16 700 en 2019, indique Manuel Domergue. Mais ces gens sont toujours en sursis, toujours endettés, condamnés à l’expulsion».

Le prolongement de la trêve mis en place par le gouvernement ne fera que retarder une sentence déjà rendue. Puis d’autres personnes, aujourd’hui encore capables de se maintenir à flot, viendront grossir les rangs. «Avant de ne plus payer leur loyer, elles demandent de l’aide à leurs amis, à leurs parents, liquident l’épargne qu’elles peuvent avoir, se privent sur d’autres dépenses. Et après tout ça, elles arrêtent de payer le loyer», analyse Manuel Domergue. C’est à ce moment-là, d’ici deux ou trois ans, que la bombe à retardement risque d’exploser.

Elsa Maudet