Publié le 4 février 2025 à 6h00, mis à jour le 4 février 2025 à 10h39

Un abri de fortune aménagé par une personne sans domicile fixe, sous un tunnel de la Petite Ceinture, dans le 14ᵉ arrondissement de Paris, en janvier 2025. RICCARDO MILANI / HANS LUCAS VIA AFP
Décryptage En France, 350 000 personnes sont sans domicile et 4,2 millions souffrent de mal-logement ou d’absence de logement personnel, selon les estimations de la fondation.
« La France s’enfonce dans la crise du logement » : tel est le terrible constat que dresse la Fondation Abbé-Pierre dans son rapport annuel consacré au mal-logement, rendu public ce lundi 3 février. Selon l’organisation, qui vient d’être renommée Fondation pour le Logement des Défavorisés, « tous les signaux sont au rouge et les motifs d’espoir bien rares ». « Le Nouvel Obs » revient sur les principaux enseignements de ce rapport.
• 350 000 personnes sans domicile
Selon les dernières estimations de la Fondation pour le Logement des Défavorisés, le nombre de personnes sans domicile atteint en 2025 un niveau inédit : elles seraient désormais 350 000, contre 330 000 en 2023, 300 000 en 2020 et… 143 000 en 2012. Et ce chiffre pourrait bien être en dessous de la réalité. « On sait que, faute de places d’hébergement, de nombreuses personnes se tournent vers les squats, difficiles à dénombrer, ou vers l’hébergement chez des tiers », explique la fondation dans son 30e rapport.
A lire aussi
Reportage Sans-abri : « La situation est inédite et dramatique »
L’hébergement chez des tiers est d’ailleurs un phénomène en nette expansion : 590 000 personnes vivent aujourd’hui chez des amis, cousins, oncles et tantes ou chez leurs propres enfants, dans des conditions parfois précaires et dans une situation de forte dépendance personnelle. Soit 80 000 personnes de plus qu’en 2013…
Au total, près de 4,2 millions de personnes souffrent de mal-logement ou d’absence de logement personnel en France.
• Des périodes de « bien-être » plus courtes
C’est un autre symptôme de la crise du logement : entre la période hivernale et les mois de fortes chaleurs l’été, les périodes de bien-être chez soi tendent à se raccourcir. Dans de nombreuses régions, elles sont parfois inférieures à six mois par an, alerte la fondation.
La mauvaise qualité thermique des logements mais aussi la progression des coûts de l’énergie et du logement sont les causes principales de cette « précarité énergétique ». Le rapport rappelle que 30 % des ménages déclarent avoir souffert du froid dans leur logement en 2024, contre 14 % en 2020, et que 75 % des ménages ont restreint le chauffage pour maîtriser leurs factures, soit 22 points de plus qu’en 2020.
Avec le changement climatique, les températures de plus en plus élevées observées l’été représentent un problème croissant : face à des vagues de chaleur plus intenses, fréquentes et longues, de plus en plus de personnes vivent dans des logements qui se transforment en « bouilloires thermiques » plusieurs mois par an.
A lire aussi
Or l’adaptation de ces logements à la nouvelle donne climatique est « insuffisamment intégrée aux dispositifs de rénovation nationaux et locaux » et continue « de se heurter à des freins réglementaires et patrimoniaux qui empêchent l’installation de protections solaires ou l’application de couleurs claires en façade et en toiture », regrette la fondation.
• Handicap : une offre de logements adaptés insuffisante
Alors que l’année 2025 marque les 20 ans de la grande loi de 2005 sur le handicap, la Fondation pour le Logement des Défavorisés consacre une partie importante de son rapport à la problématique du logement pour les personnes handicapées. Et là aussi, la situation est critique.
Parmi les ménages concernés par un handicap, 6,4 % subissent une des deux principales manifestations du mal-logement, c’est-à-dire la privation de confort ou le surpeuplement accentué – soit 350 000 ménages. C’est plus qu’au sein de la population générale (4 %). De même, ces Français sont également plus touchés par la précarité énergétique : elle concerne 8 % des foyers comptant une personne avec un handicap, contre 5 % en moyenne pour l’ensemble de la population française. Au total, les problèmes de logement touche 24 % des familles comprenant une personne en situation de handicap ou de gêne, soit 1,3 million de ménages. C’est, là encore, plus que la moyenne nationale (20 %).
A lire aussi
Cette surreprésentation s’explique par la discrimination dont sont victimes ces personnes lorsqu’elles cherchent à accéder à une maison ou un appartement. Mais la fondation dénonce aussi une offre de logements adaptés qui demeure « incomplète, pour ne pas dire marginale ». Dans le parc social, seuls 18 % des biens sont considérés comme accessibles, et 6 % accessibles et adaptés. D’après les calculs réalisés pour ce rapport par l’économiste Pierre Madec, le fait d’être une personne en situation de handicap, donc demandant une habitation adaptée, induit 14 % de chances en moins d’obtenir un logement social que pour les autres ménages et augmente les délais : 23 % des personnes en situation de handicap ont une demande en cours depuis cinq années ou plus, contre 12 % pour les autres demandeurs.
La Fondation pour le Logement des Défavorisés rappelle par ailleurs que l’obligation d’accessibilité du bâti neuf n’a cessé d’être fragilisée, notamment par la loi Elan (2018), qui a réduit l’obligation de logements accessibles de 100 % à 20 % dans les nouvelles constructions, les 80 % restants ne devant plus être que « visitables » et « évolutifs » au terme de travaux simples.
• Une année d’attentisme et de renoncements
Alors que la crise du logement se creuse, le sujet reste étrangement absent des préoccupations des responsables politiques, s’étonne la fondation. Comme d’autres, le secteur a été pénalisé l’an dernier par l’instabilité gouvernementale, qui a vu quatre Premiers ministres et autant de gouvernements se succéder. « Avec sept mois sans ministre du Logement en état de prendre d’importantes décisions, l’année 2024 aura été une année presque blanche pour ce ministère », regrette-t-elle.
A lire aussi
Toujours selon la fondation, « au-delà de l’immobilisme politique, l’année 2024 a aussi ouvert la voie à des réformes dangereuses et des renoncements », qui s’attaquent à des législations « qui portaient jusque-là des objectifs de solidarité, de justice sociale, d’accès aux droits ». Elle se montre particulièrement critique envers l’action menée par Guillaume Kasbarian, à qui elle reproche une « accélération des expulsions locatives », une « criminalisation du squat », ainsi qu’une tentative d’« affaiblir la loi SRU » en intégrant les logements locatifs intermédiaires dans le décompte des logements sociaux… « Les pouvoirs publics ont cherché en 2024 des boucs émissaires plutôt que des solutions », résume-t-elle.
Publicité
« Les coupables désignés sont les normes écologiques et les politiques de défense des mal-logés, les ménages les plus pauvres qui accumulent parfois des impayés, squattent des locaux vides pour s’y abriter faute de mieux, ou survivent dans des abris de fortune. »
Certes, avec les gouvernements Barnier puis Bayrou, le logement a retrouvé « une ministre reconnue pour sa connaissance du secteur » et au profil plus consensuel (Valérie Létard), reconnaît la fondation. Mais aucun bouleversement de la politique du logement n’est cependant annoncé pour l’instant.
Par Sébastien Billard